Faik Konitza

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Apollinaire et l’Albanie

Konitza e Apollinaire se sont rencontrés à Londres en 1903. Le premier avait quitté la Belgique après être victime de tracasseries policières à Bruxelles, dénoncé par les autorités turques : Konitza était condamné à mort en Turquie par contumace. Quant à Apollinaire, il faisait un séjour à Londres pour retrouver son amie Annie Playden, qu’il voulait l’épouser. Mais les parents de la jeune fille ne voulaient pas qu’elle se marie avec un poète et Annie décide de partir pour l’Amérique en mettant un terme à ses relations amoureuses avec Apollinaire.

Avant de parler de cette relation évoquant l’époque de l’indépendance de l’Albanie, un siècle avant, il est nécessaire d’exposer, d’abord, quelques faits biographiques de l’écrivain français.

Guillaume Apollinaire, est né à Rome, en 1880, d’un père italien et d’une mère française d’origine polonaise. Il vit une jeunesse cosmopolite et cultivée à Monaco, Cannes et Paris. En 1899, il fait un séjour à Stavelot, en Belgique. Après un voyage en Europe centrale, Apollinaire s’installe à Paris où s’impose rapidement comme une figure importante de l’avant-garde artistique. Issu du symbolisme, en 1913, il publie son premier recueil de poèmes Alcools et cinq ans après, le dernier, Calligrammes, qui font de lui l’un des chefs de fille de la poésie moderne. Apollinaire, qui lance en 1917 même les termes de « surréalisme » et d’ « esprit nouveau », est considéré comme un précurseur du surréalisme. Il est également auteur de nouvelles et de romans érotiques qui continuent à être lu avec plaisir, jusqu’à nos jours, pour leur charme et grotesque évoquant un François Rabelais. Engagé dans la Première Guerre mondiale, Guillaume Apollinaire, blessé à la tête, est mort en 1918 d’une épidémie de grippe espagnole. Le 13 novembre de cette année-là, il est enterré au Cimetière du Père-Lachaise à Paris, parmi les célébrités de la nation française.

Selon les biographes de l’écrivain français, la cause de la rencontre de Konitza et Apollinaire à Londres, c’est la jeune londonienne avec qui le directeur d’Albania avait fait connaissance depuis 1900, à Paris, et leur amitié continuera longtemps, même en Amérique.

Depuis leur rencontre, Konitza collabore avec la revue d’Apollinaire Le Festin d’Esope et Apollinaire avec Albania de Konitza. Leur amitié dépasse pourtant leurs intérêts personnels et purement littéraires. Guillaume Apollinaire s’intéresse à l’époque aux peuples sous la domination ottomane demandant leur indépendance : les Bulgares, les Albanais et les Macédoniens. Et l’on voit surgir un Apollinaire qui partage avec son ami albanais l’amour de l’Albanie. Lui aussi, devient au fil du temps un adepte par excellence de la question albanaise qui, selon lui, «paraît aux grands diplomates, qui règlent les destinées du monde, fort petite au regard des questions formidables qui s’imposent à l’attention de l’univers bouleversé».

Sur l’amitié entre Konitza et Apollinaire parlent depuis longtemps des chercheurs français et albanais, mais c’est l’écrivain Luan Starova, diplomate d’origine albanaise et ancien ambassadeur de Macédoine en France, avec son livre Faik Konitza et Guillaume Apollinaire : Une amitié européenne, publié en 1998 chez L’Esprit des Péninsule, qui nous donne un premier recueil de textes jusqu’ici peu accessibles d’Apollinaire sur l’Albanie et Konitza ainsi que des informations nouvelles.

Le premier texte d’Apollinaire sur l’Albanie est «Deux faux princes d’Albanie» publié dans L’Européen du 8 octobre 1904 qui sera repris dans Albania nr. 7, sous le titre «Trois faux princes d’Albanie» puis dans le chapitre IV de La Femme assise (première version). Comme cela va de soi, dans cet écrit l’auteur s’occupe de deux noms dont on parlait à l’époque, respectivement d’Aladro Castriota et Stépan Annibal qui, faisant semblant d’être descendants de Skanderbeg, prétendaient au trône d’Albanie.

Un autre texte d’Apollinaire intitulé «Une prophétie contemporaine touchant l’Albanie» a paru dans le volume 9, nr.7, 1905. Il s’agit d’une présentation d’une brochure de 52 pages d’un prophète inconnu paru en 1903 à Paris dans laquelle étaient prédits les événements à venir avant 1931. Selon l’auteur «le petit livre du Nostradamus inconnu n’est donc pas dénué d’intérêt. Deux passages ont trait à l’Albanie». Le premier des passages de ces prophéties concernant l’Albanie est ainsi conçu : «Des révolutions et des guerres dans le cours de 1906 à 1919 qui amèneront la séparation de la Macédoine, l’Albanie et la Syrie de la Turquie… »

Il faut cependant ajouter, poursuit Apollinaire dans son article, qu’au sujet de l’Albanie, le prophète prévoit son élévation au rang d’Etat indépendant avec la Grèce, la Thessalie, l’Epire, la Macédoine «comme il fut autrefois».Les deux derniers paragraphes de ce texte contiennent une constatation de beaucoup de savants selon laquelle la langue albanaise a fait des progrès et «que bientôt on devra la compter au même rang que le suédois». Enfin, Apollinaire conclut «que l’albanais deviendrait la langue d’un Etat formé comme le prédit le prophète anonyme».

Dans sa Chronique «Billet du vieux diplomate» parue dans Le Cri de Paris du 28 janvier 1906, après avoir cité les vers du prince des poètes français, Pierre de Ronsard, sur Skanderbeg :

Ô l’honneur de ton siècle ! ô fatal Albanois

Dont la main a desfait les Turcs vingt et deux fois…

Apollinaire fait l’apologie de son ami insulté par le prêtre de Scutari, Gaspard Jakova Merturi. Et il en profite pour faire le portrait de son «Albanais estimable» : « Si l’Albanie était un Etat, il en serait sans doute le premier ministre. Albanologue, sanscritiste et même, je crois, yamatalogue, le bég Konitza est connu des savants de l’Europe entière. Pour se délasser, il écrit en français des essais remarquables qu’il signe de pseudonymes divers. Le sultan l’a condamné trois fois à mort.»

En 1917, Apollinaire revient de nouveau sur la question albanaise. Cette fois-ci, il préface, à la demande de l’auteur, le livre d’Elise Aubry intitulé L’Albanie et la France, qui consiste en un choix d’articles parus dans le quotidien La France en septembre 1916. «La simple mention de ces dates (le poète meurt le 9 novembre 1918) suffit à mettre en évidence que l’intérêt d’Apollinaire pour l’Albanie ne s’est démentit jamais… » souligne à juste titre Starova.

Après avoir indiqué au début de sa préface que «les Albanais seuls ont le sentiment de la nationalité, tous les autres peuples de l’empire ne connaissent d’autres groupement que celui de la religion», il tient à attirer encore l’attention sur l’Albanie «qui regarde avec anxiété du côté de cette France dont elle sait et admire le désintéressement».

Apollinaire avait une grande estime pour Konitza en reconnaissant en lui le « Voltaire » des Balkans. Il qualifia son ami albanais, son aîné de cinq ans, de «véritable encyclopédie mobile».

Dans sa Chronique parue dans La Vie anecdotique du 1er mai 1912, il fait son portrait intitulé « Faik bég Konitza ». On y apprend que parmi les hommes que l’écrivain français avait connus et dont il se souvenait avec le plus de plaisir, Konitza était «un des plus singuliers». Il y parle de sa première rencontre et des jours passés durant deux visites chez lui à Londres, en tant que son hôte, de son hypocondrie et de sa dernière lettre envoyée des Etats-Unis.

Enfin, il souligne à regret que : «Cet adieu singulier lancé par Faik Konitza à ceux qu’il a connus et avec lesquels il a rompu toutes relations d’amitié ne me laisse plus aucun espoir de le revoir.» Et c’est vrai qu’il ne verra plus son ami albanais. Mais leur « amitié européenne » appartient déjà à notre histoire et les Albanais se rappelleront au bon souvenir de Guillaume Apollinaire, qui, dans une période critique et décisive de leur destin national, a témoigné son amour et son soutien précieux à l’Albanie.

Gjovalin Kola

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