La vengeance constitue un élément très important de la mentalité individuelle dans de nombreuses sociétés. Elle constituait un élément de la justice sociale dans la communauté primitive et pré-moderne.
En particulier dans la construction de l’Etat moderne, la vengeance a fait partie de la discussion sur la philosophie et le but pratique de la justice. Elle a été intégrée dans les systèmes modernes de la justice occidentale sous forme de condamnation par des organes spécifiques. La condamnation, sauf des cas extrêmes, avait pour but final la rééducation, la repentance, la réintégration de l’individu condamné dans la société, c’est-à-dire « la réponse du mal par le bien ». Cela a entraîné la disparition de la vengeance comme une source de droit individuel de justice et la mise en place de systèmes afin de prévenir les condamnations sans jugement. Parallèlement, des processus transparents démocratiques ont été mis au centre du système social qui prévenait la vengeance individuelle ou collective, ce qui a fait que la vengeance disparaisse même comme une mentalité d’individus ou de groupes. La vengeance en Albanie est traitée et analysée comme un phénomène social avec des dimensions individuelles. La vengeance a plus attiré l’attention comme une reprise de sang. La reprise de sang est la version la plus propagée de la vengeance en Albanie. La vie d’un homme devrait être payée de la vie d’un autre homme. Cette personne pourrait ne pas être le meurtrier, mais une personne de sa famille. Ce type de meurtre entraînait quelques règles pour avoir le contrôle sur le meurtre, mais pour créer un mécanisme qui l’arrête. Tout cela pour rendre possible que l’individu ou sa famille reprenne le sang, se venge. Selon cette mentalité, l’individu ou les groupes d’individus ne peuvent pas vivre normalement en société sans répondre au mal - ou à ce qu’ils pensent que c’est mal - c'est-à-dire sans se venger.
Principe dominant
En effet, ce phénomène n’est pas seulement albanais. Même si c’est une propriété de la société primitive, la vengeance a existé dans de nombreuses autres sociétés comme un phénomène social jusqu’à la fin du XIX siècle, et comme un phénomène sporadique et individuel jusqu’au XX siècle. Elle est restée comme une source de justice uniquement dans la logique des activités mafieuses. Le renforcement des structures du pouvoir local et central a fait que la vengeance perde son importance comme une source de justice en société. Cela a entraîné la disparition de la vengeance comme une mentalité. La vengeance comme mentalité signifie une manière de penser et de vivre. Dans cette mentalité, la vengeance devient le principe dominant de la vie privée et sociale. Cela veut dire que l’individu et son entourage social pensent que le mal, ou ce qui est défini comme le mal, peut disparaître uniquement par le mal. Nous ne devons pas confondre cela avec les cas individuels criminels quand la vengeance est une raison de crime. Toute personne peut commettre un crime pour se venger en Albanie, comme dans d’autres pays. Le crime de vengeance est condamnable par la société et les autorités dirigeantes, tandis que la mentalité de vengeance fait partie du mode de vie quotidienne et n’a rien à voir avec un crime ordinaire, ni avec un crime prémédité ou non, mais elle concerne des décisions, des qualifications, des actions qui sont faites au nom d’une justice qui croit que le mal peut disparaître avec le mal.
C’est ici où réside la particularité de la vengeance albanaise qui a beaucoup de versions qui ont résisté au temps. Sa version la plus primitive, celle de la reprise du sang, n’a pas encore disparu. En même temps, il s’est passé le processus de la transformation de la vengeance. La vengeance s’est transformée avec la société, en prenant des formes compliquées et qui, même si elles sont en apparence comme telles, elles ont à la base l’instinct de vengeance. Dans cette forme, la vengeance ne constitue pas un crime instantané ou l’idée de commettre un crime, mais c’est l’élément qui domine la mentalité des groupes d’individus et par conséquent la manière de se comporter en continuité. La mentalité de vengeance avec préméditation ou sans préméditation entrelace les actions de telle manière que chaque mouvement puisse créer la possibilité de vengeance, d’en faire partie normale de la vie quotidienne. La conséquence c’est qu’une fois l’acte de vengeance commis, cela ressemble à tout le monde comme un acte normal, partie nécessaire de la vie, tellement importante qu’on ne peut pas construire l’avenir sans elle. Voici un simple exemple pour l’illustrer : l’enfant, la femme, le voisin, etc. ne condamnent pas le père qui commet quelque chose de mal parce que les autres lui ont fait mal, ou on suppose qu’on lui a fait un mal, au père ou à la famille. Cela devient normal, nécessaire et louable dans la mentalité de vengeance et ne s’appelle pas, de plus, vengeance.
La vengeance comme mentalité a encore une autre caractéristique en Albanie. Cela la rend complètement unique. La mentalité de vengeance a dépassé la maison, le village, la ville, elle est devenu partie de la mentalité sociale. La mentalité de vengeance qui dirigeait des individus ou des groupes d’individus se fond de temps en temps à la mentalité générale. La vengeance collective veut dire que le groupe social qui jadis a nuit, ou supposé avoir nuit, doit être condamné de la même façon qu’il a nuit. Ce type de mentalité ne se base sur les systèmes légaux ou sociaux modernes, ni dans l’étique démocratique occidentale. Il se base sur la croyance qu’il faut répondre au mal par le mal. Les processus sociaux et économiques ont transformé cette manière de penser dans les pays développés, mais, non, à ce qu’il paraît en Albanie.
Lutte de classes
Le système socialiste a formulé la vengeance comme une lutte de classes. Il n’y avait pas tellement d’importante qui rentrait dans une classe. C’était important que certains individus ou des groupes d’individus se vengent des autres pour les souffrances vécues ou imaginées ou pour les outrances vécues ou imaginées. Le système en lui-même était naturellement un système de vengeance. Donc, espionner le voisin, torturer un prisonnier, déporter une famille pour un caprice, faire pression sur des individus pour des raisons les plus banales, etc. etc. était légitime. Quand la mentalité de vengeance se transforme en mentalité sociale ou systémique, il n’y a pas de limites. Il peut s’adresser contre n’importe qui pour n’importe quoi. Ni le passé, ni l’avenir, ne peuvent échapper aux actes de cette mentalité. Par conséquence, l’histoire non plus. Pour se venger profondément du passé qui avait « détruit le présent » on a détruit des monuments de rare valeur historique et culturelle, les personnes pouvant mémoriser ces monuments ont été déportés. Des dizaines de livres ont été détruits, des dizaines de propagandistes ont été effacés de l’histoire, leurs familles ont été dénigrées, l’œuvre et les souvenirs de beaucoup d’autres ont été ternis. La vengeance envers le passé était une partie importante de la mentalité de vengeance, peut-être la plus importante, parce que son but final était « l’étiquetage eternel avec le mal » de ce qui « avaient causé du mal » et la mise en œuvre d’un système idéal sans le « mal ».
Comme il a été remarqué ensuite, ni l’instauration du système capitaliste « démocratique » n’a pas su vaincre la mentalité de vengeance. La vengeance, même si au fond elle est la même, avait un nouvel étui qui en apparence semblait être plus louable : abattons la dictature une fois pour toutes. L’endommagement des bibliothèques, des librairies, la destruction de beaucoup d’institutions, le dénigrement de ceux qui étaient accusés comme partie active du système précédent, le dénigrement pour ce qu’ils avaient fait ou imaginé avoir fait, la création de journaux qui avaient pour but unique d’accuser des individus, en y impliquant leurs familles, les leaders qui attaquaient les familles des uns et des autres, les partis politiques qui laissaient sans travailler leurs sympathisants et les proches des sympathisants ou des « personnes entachées comme sympathisants » des partis d’opposition, etc. etc. étaient des exemples de la même vengeance dans un nouvel étui. La vengeance envers le passé, envers l’histoire et ses sources continue de vivre et de se tenir vivante en Albanie. Les musées, les monuments, les œuvres culturelles, les personnalités scientifiques et culturelles n’ont pas été épargnées déjà de la vengeance « démocratique ». Beaucoup d’œuvres continuent d’être endommagées (récemment le Monument des cinq héros à Shkoder), beaucoup de personnes continuent d’être dénigrés (la soi-disant loi de propreté de la figure des personnes ayant servi lors de la période de la dictature). Tout cela a beaucoup de raisons et d’explications, mais en essence, il s’agit de la vengeance.
Manière de vie
La vengeance est devenue une manière de vie, c’est pourquoi elle est légitime. Ce type de vengeance n’épargne ni les jeunes générations, ni les générations passées. Elle n’est plus instantanée ou individuelle, mais un système de vie et de pensée. Cette vengeance a beaucoup de raison, mais, au fond il y en a une : la récompense du mal par le mal. Tout cela a une conséquence : tous les 20 ans, les 30 ans, ou les 40 ans, l’Albanie devra commencer du début, parce qu’il faut combattre « le mal par le mal », alors qu’en effet quand le bien fait disparaître le mal, tout disparaît. Tout de même, l’Albanie est déjà un pays ouvert et nous avons la possibilité de comparer, d’analyser, de refléter, d’apprendre de ceux qui ont su faire autrement. Espérons que les hommes et les femmes albanaises diront non à un moment à la vengeance et diront oui à la collaboration, à la reconstruction et au dessus de tout, la pacification de la société albanaise avec soi-même et son histoire, son passé, avec l’autre ou ce qui paraît comme le contraire de soi. Espérons qu’au lieu de penser de faire du mal ou de dénigrer ceux « ont fait du mal », pensons comment construire de nouveaux monuments, comment comprendre le passé et d’apprendre des erreurs. Jusqu’alors, nous continuons d’écouter, de voir et de vivre « la vengeance à l’albanaise ».
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Traduit par Dino Ismaili